ERRANCE (l’Enfer-Me-Ment)
4 oct 2021 par vincent
J’erre, je vaque, je traîne, je m’égare, je cherche et je me cherche. Je déambule neurasthénique au milieu des tombeaux et des croix de granit, celles dont l’horloge a fait poussière, celles dont la mémoire est devenue cendres et oubli.
Je traîne, je vaque, je m’égare, je survis, j’embrasse ma colère et j’enlace mes pulsions.
Les excès sont ivresse, mais les excès sont abîmes, longtemps j’ai succombé dans cette fascination mortifère parce que j’avais supplié Dieu de fuir la douleur. Cependant c’est par la souffrance que nous apprenons, la blessure ouverte est un parchemin explicatif, éducatif.
La brûlure est un sacre à l’évolution d’un cheminement. Le feu baptise l’existence.
Les clochers retentissent à travers chaque parcelle des enfers. Les ecclésiastes poussent les cloches à l’essoufflement, ils manipulent la beauté phonique de ces majestueuses dames séculaires. Ces demoiselles millénaires qui résonnent de toute leur candeur démontrant à quel point l’appel de Dieu peut être pur, à quel point la lumière est belle. Pourtant les cloches sont des instruments du presbytère, elles sonnent la magnificence mais elles sont la duperie des prêtres, eux qui appellent à mentir, eux qui scandent à trahir, eux qui vénèrent l’homicide de l’âme. Les cloches s’essoufflent, elles s’épuisent bout par bout. Elles sont comme les pulsations rythmiques d’un cœur qui bat jusqu’au trépas. Au début elles sont tellement vives, si électriques, si joyeuses. Puis lentement elles s’essoufflent pour progressivement se taire et laisser la messe aliéner les fidèles brebis déjà coupables de s’agenouiller devant la dégénérescence et l’obédience des cruautés, abysses labyrinthiques de l’abject.
Plus long est le chemin, plus destructeur sera la chute…
Faire taire la douleur par l’étreinte de l’excès. J’embrasse mes démons intérieurs, leurs voix résonnent dans le labyrinthe de mes pensées. C’est un vacarme cacophonique dans ce chaos qui palpite les pulsations dans mes veines. Je parcours l’antre obscur des limbes.
Je vois, j’entends même mille châtiments. Je vois, j’entends et je dévisage toutes mes peurs, elles me scrutent, elles me figent, elles en rient. L’effroi me pétrifie, tétanisé par la froide texture de l’ampleur énigmatique qui se dessine devant mes yeux de flammes.
Je me vois dans les reflets du miroir, j’échange l’effroi avec l’effroyable entre mon reflet et moi-même, du moins l’image que j’interprète de moi-même. Je cherche à défier l’image qui est celle que je suis censé avoir. Je me regarde, encore et encore.
Je me hais et je me délecte d’aller m’immoler sur un bûcher. Plaire aux éphémères.
Je dévisage mes cicatrices, je dévisage mes scarifications, je dévisage l’ensemble de mes blessures. Mes douleurs passées m’ancrent dans à la détestation de moi-même. J’en hais mes propres ailes et je renie l’évolution. Je me vois pire que tous les enfers.
Un million de visages et de voix horrifiques se déchaînent et tournent en symbiose, devant, autour, au-dessus, en-dessous de moi dans les méandres caverneux et ténébreux dont les limbes sont prodigues. Je vois, j’entends mille tourments défiler et parcourir mon spectre.
Mes ailes font moins les fières, elles se recroquevillent et font moins les malignes face au chaos.
Plus long est le chemin, plus destructeur sera la chute…
Se confronter à soi-même, se regarder dans le blanc de l’âme, fixer sa crasse ainsi que ses terribles failles. Dévisager avec calme ses blasphèmes, ses reflets hérétiques et ses péchés.
Nos plaies définissent nos prières, elles décrivent nos doléances, elles relatent nos convictions, elles écrivent nos désespérances, elles gravent nos damnées présences.
Nulle sainteté ne s’écrit dans la vertueuse propreté immaculée. Non.
Il faut avoir nettoyé sa merde, torché la boue, regardé le mal et s’être laissé embué de son charme. Multiplier les drames, jongler avec les flammes, essuyer les crachats de femmes.
J’erre, je vaque, je vois et j’entends mille châtiments. Je déambule dans les limbes.
Je vois, j’entends mille tourments, je déambule au sein des limbes. Je marche droit devant moi, j’essaie d’éviter les hordes de visages démoniaques qui tournoient en cercle symphonique et qui me dévisagent. Les voix infernales hurlent un million d’horreurs, la peur éclate, elle glace mon âme comme un effroi, terrifiant brouhaha basculant ma raison en déraison.
Les ecclésiastes scandent l’éternelle damnation, l’éternelle ritournelle de l’hérésie. Je suis sanglé par la terreur, par le désespoir si froid. Les visages démoniaques tournent autour de moi, ils me vocifèrent « BLASPHÈMES, tu n’es rien d’autre que BLASPHÈMES !!! » Ils ânonnent ce jugement comme une horloge possédée, laquelle bégaie sur une boucle infernale.
Si le feu purificateur des enfers a embrassé ce soir-là mes ailes, s’il a embrasé mon auréole, il a enlacé mes yeux de braises par le sceau des « BLASPHÈMES ». Ici-bas les prêchi-prêcha travestissent cette parodique « BETHLÉEM », ma santé mentale valse en dilemme.
Plus long est le chemin, plus destructeur sera la chute…
Je marche, je traverse, je déambule, je traîne des pieds, long et douloureux est l’apprentissage. Se forger, s’endurcir, s’affranchir, avancer coûte que coûte. Ignorer la séduction des excès, oublier le confort du retranchement par la peur, avancer et toiser les visages cauchemardesques, ceux-là mêmes qui aiment narguer nos plus profondes craintes.
Celles-là mêmes qui ont le talon chatouilleux. Celles-là mêmes qui ont la fâcheuse tendance à flancher, les mêmes prêtes à succomber dès l’apparition furtive de la moindre difficulté.
S’affranchir, avancer droit devant sans se retourner. Ignorer les murmures horrifiques des visages démoniaques, tous en cœur et déambulant autour de soi.
Le vrai pouvoir paroissial, machiavélique, perversion narcissique, que peut exercer l’église sur la crédulité fragile des âmes en peine ici-bas, c’est notre culpabilité extrême.
La peur de déplaire au Seigneur tout-puissant, l’angoisse de vivre toute l’éternité dans la forge de feux des enfers. Passer son immortalité à souffrir et se laisser punir.
Alors que mille maux-dits tourmentent ma raison, laissant carte blanche aux visages cauchemardesques, tournoyants en cacophonie symphonique. Pendant que je regarde fixement la froideur des horreurs qui traînent dans les limbes neurasthéniques.
Alors que j’ai compris que les monstruosités sont les restes avariés du presbytère, elles sont le reflet scandaleux de l’appétit ambitieux des ecclésiastes.
J’entends la cadence cardiaque des clochers résonner en bas, le glas résonne l’effroi à travers le chaotique beffroi, ici-bas. La franchise brutale me glace les veines.
J’entends les grenouilles du bénitier de sang danser en effervescence sur les mensonges effroyables des inquisiteurs de Dieu, alors qu’eux-mêmes châtient sans l’aval de Père.
Manipulateurs du Ciel, bandits de l’Éden dont le scrupuleux égal le blasphémateur hérétique.
Apprendre seul dans les méandres de la peur, apprendre isolé dans la dégénérescence dépressive. La déraison devient ma raison, leurs raisons sont ma déraison.
Chercher sagesse par-delà mille blasphèmes, saisir l’irrévérence par-delà mille hérésies. Petit poucet suivant ses graines, frayant les brasiers aux diverses vérités.
Je marche droit devant moi et j’essaie de faire abstraction de la chorégraphie de visages démoniaques dansant en farandoles autour de moi.
Dans la froideur des limbes, apprendre à se laisser tomber pour comprendre la valeur de la chute, puis regarder au fond de son âme pour se dévisager soi-même. Affronter ses peurs, ses tourments, ses pires cauchemars et puis accepter de se relever, encore, encore et toujours. Se relever pour retomber plus lourdement dans l’antre glacé de l’abîme.
Observer le défilé de charognards damnés, de bagnards déchus et de forçats perdus se ruer vers le Styx, rivages aux couleurs noircies de nos fautes, de nos failles. Polluées par des milliers de nos péchés, tous plus ou moins scabreux, affreux, crasseux, scandaleux.
Regarder ces milliers d’âmes s’abandonner dans les griffes des ecclésiastes, les laisser nous plonger dans la rivière des morts pour être baptisés. Pour y être marqués. Gravés du sceau des vainqueurs, souillés d’être les vaincus, baigner dans l’acceptation de la honte.
Voir les ecclésiastes enchaîner les baptêmes, comme une peinture des évangélistes du Mississipi habillés de blancheur, purifier et sauver les âmes.
Plus long est le chemin, plus destructeur sera la chute…
Plus longue est la marche, plus grande est l’inquisition. Les visages cauchemardesques tournoient autour de moi, répondants à chacune de mes tempêtes émotives.
Durant des millénaires j’ai stagné dans une éprouvante répartie insensée, au sein d’une rhétorique illogique, cyclique, irréfléchie, quasiment puérile et vide de sens jusqu’à l’épuisement inéluctable de l’âme contre la matière. À force de biberonner de l’hérésie, le brasier colérique s’anime et s’affole avec déraison. La démence et la haine s’infiltrèrent dans le rythme de mes veines. Le chant désenchanteur aux sombres visages cauchemardesques s’accorda harmoniquement avec la cadence de mon étourdie folie.
Mon sang atteignit mes yeux et se maria avec les braises incendiaires, orchestrant la révélation de mon regard. Le vacarme assourdissant horrifique des visages démoniaques prit un sens. La merde ainsi que la pisse, régnant tout autour, eurent un goût savoureux, un nectar aphrodisiaque que les Dieux nous offrirent. Dans l’égarement, dans l’euphorie hystérique, dans l’ivresse autodestructrice, je masturbais ma maux-dite queue.
Plus longue est la traversée, plus scabreuse est l’éjaculation mortifère.
Ici-bas, nous sommes ferrés tel un bétail discipliné, s’agenouiller et laisser les griffes de l’archevêché nous noyer dans l’eau mortuaire. Consentir à se faire empoisonner du venin des souverains, obscurcir, obstruer nos veines. Ici-bas près de ce mortifère Mississipi, les soutanes sont couleur sang opaque, ils damnent, condamnent et détruisent nos âmes. Périr c’est guérir. Ici-bas je me cherche, je me noie dans mille reflets erronés, je traverse mille châtiments, je prends le temps de goûter chacune de mes plaies. J’apprends à mieux tomber.
Les visages infernaux font un vacarme de mille diables, les voix horrifiques hurlent à foison. J’embrasse progressivement, langoureusement, lascivement mes frayeurs, toutes mes terreurs.
J’erre, je vaque, je vois et j’écoute un millier de tourments. La folie devient intime.
L’errance est longue, l’errance est périlleuse, douloureuse. Mais l’errance m’apprend. Apprendre à grandir au lieu de se mentir. Apprendre à guérir au lieu de se détruire.
Plus long est le chemin, plus destructeur sera la chute…
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