LETTRE A MARILYN MANSON
5 mar 2007 par vincent
Si l’on m’avait dit que je ferai un texte sur vous il y a quelques temps, j’aurais d’abord ri au nez de la personne porteuse de ces paroles prophétiques ! Et, naturellement, je lui aurais affirmé que cela ne pouvait se concevoir.
Mais voilà, le temps passe, l’eau coule sous les ponts, la vie agit, les hommes changent et les esprits évoluent…
Ainsi va le cycle naturel de la maturation des individus.
Je suis chrétien et il n’est pas dans mon intention de vous lapider avec mon stylo, bien au contraire !
J’ai commencé à m’intéresser à vous il y a peu de temps lorsque vous m’avez fait moins peur.
Ce ne sont pas vos « maquillages » qui m’effrayaient – je comprends aujourd’hui qu’ils ne sont qu’un accessoire destiné à vous protéger et à « entrer » dans votre personnage public –
Mais plutôt la mouvance sataniste qui s’intéresse à vous.
Mon entourage a usé de trésors de diplomatie pour me faire accepter le fait que j’avais tord et que vous n’étiez pas impliqué dans des assassinats rituels et des manipulations diverses. Auparavant, j’étais convaincu que vous faisiez de la propagande sataniste.
A cette époque, j’étais dans une idéologie de « gang » chrétien assez intégriste. J’ai connu certains radicaux catholiques.
J’étais aussi, parallèlement, en dépression à cause de mes rêves que je voyais s’évaporer….
Tout ce mélange dans ma tête, qui créait un chaos terrible, m’avait donné le désir de mourir en martyre, en me planquant dans un de vos concerts et en me faisant sauter.
J’ai conscience à présent de l’absurdité de ces pensées qui étaient le fruit, non seulement de mon immense souffrance, mais aussi de ma terrible rage contre la vie et la société qui m’empêchait de réaliser mes rêves.
Un peu comme vous lorsque vous affichez vos outrances dans vos concerts. Je vois là comme un parallèle entre vous et moi.
On utilise le « border line » pour évacuer et surtout pour exister et être entendus.
Je me disais que puisque ma vie semblait ratée, donc éteinte pour moi, mourir aurait peut être fait parler de moi, ce qui est d’une certaine façon un moyen de se faire entendre, même « post mortem ».
Plus tard, j’ai compris que vous n’étiez pas ce que croyais auparavant, et notamment au travers des médias.
Je me suis rendu compte que vous étiez plutôt un marginal, et que vous souhaitiez être comme un emblème, représentatif d’une certaine catégorie de gens.
Votre rage apparente contre la religion est légitime du fait de vos blessures passées. Il me semble que vous êtes persuadé que Dieu vous a abandonné lorsque vous étiez en difficulté et que sans doute vous vous êtes senti très seul à une époque. Et que cette souffrance est restée enfouie au fond de vous, devenant avec le temps comme un moteur qui vous propulsait vers l’image que vous affichez de vous.
Moi aussi, étant profondément chrétien, je me suis senti abandonné et cela a généré une souffrance très profonde dont j’ai encore du mal à me débarrasser.
Les évangélistes vous accusent de rébellion envers la vie et ses conventions et protocoles. Ils ne savent pas que vous utilisez justement cette provocation comme un exutoire !
Vous les choquez en montrant au monde cet abandon qui a été le vôtre et a laissé en vous de la douleur.
Mais vous, vous avez réussi à transformer cette douleur silencieuse en rage éloquente et reconnue. En fait vous avez réussi cet exploit de vous construire tout seul une identité et une reconnaissance des autres, avec justement ce passé qui vous pesait et que vous avez su transformer en positif.
Ce que je ne suis pas encore parvenu à réaliser, hélas pour moi !
La provocation est pour vous un moyen de vous exprimer, donc d’exister ! Elle est aussi sans doute un défouloir afin d’évacuer le stress de la vie. Une manière en somme de vivre en paix et de faire face à tout.
J’ai lu l’article que Chuck Palahniuk a écrit sur vous, qui a provoqué en moi un choc intense, notamment sur la vision que j’avais de vous. Cela a fait le même effet que des explosifs C4 et de la nitroglycérine en effervescence…..
J’ai alors compris que j’avais une vision déformée de vous, basée sur des apparences véhiculée par les médias.
J’ai évolué, grâce à cette prise de conscience des chemins difficiles de la vie, que nous avons chacun de notre côté, empruntés. Je sais que derrière ce personnage médiatique que vous affichez, se cache un être sensible tentant de faire face et de se battre dans un monde inadapté à sa nature profonde.
Je me suis donc renseigné sur vous et ai découvert de nombreux points communs entre vous et moi. Même si nos cheminements ne sont pas les mêmes, il y a cependant des similitudes.
Nous avons tous les deux eu un parcours difficile, chaotique voire destructeur. Nos cicatrices sont à vif et nous sommes, chacun à notre manière, révoltés contre la société et ses règles absurdes.
J’ai donc découvert que vous avez utilisé vos souffrances pour avancer et aller plus loin que la monotonie et « l’habituel ».
Vous vous êtes servi de vos frayeurs et de vos angoisses antérieures pour nourrir ce personnage que vous incarnez, afin de transformer vos peurs en éléments de travail.
C’est une façon de vivre en paix avec votre passé. Exhiber vos craintes d’enfant pour y faire face et les exorciser, comme cette peur des autres (agoraphobie). Vous refusez donc les « limites » et allez toujours plus loin dans la provoc pour faire tomber les barrières et ne pas être bloqué dans votre timidité, être plus serein.
C’est un amusement, votre droit de jouer au jeu du bouche à oreille et personne, ni moi ni d’autres, n’a le droit de vous juger.
Moi je me flagelle verbalement pour faire face à mon identité que je sens méprisée du monde, et aussi à l’échec de mon rêve, inconcevable selon les critères sociaux.
Il me faut aussi accepter le dégoût que je lis dans le regard de beaucoup de gens.
On vous qualifie « d’artiste le plus méprisé », moi on m’a catalogué de « sale schizo »…..
Dans l’article de Palahniuk, vous paraissez humain et cependant ce côté de vous est totalement occulté dans les médias, ce que je trouve dommage.
Cela a été pour moi un étonnement de découvrir cette facette de vous, et je peux dire aussi une sorte de joie, car je sais aujourd’hui que vous en avez bavé et que malgré tout vous ne baissez pas les bras et vous vous acharnez sur votre travail.
Comme une preuve vivante que quand on est à terre on ne peut que se relever.
Votre faiblesse s’est changée en force et vous a endurci face à vos détracteurs.
Je respecte cela.
Pour ce qui me concerne, j’ai le sentiment d’avoir perdu la foi en mon avenir d’écritures. Mes rêves semblent détruits, à cause du système, des conventions, hiérarchies et « peoplelisation », du capitalisme et du rang social. Sont ils donc un crime au regard de cette société qui régit tout ? Si oui, ce « crime » est mon tourment et ma chute…
Je n’ai pas ce courage que vous déployez sur scène, sachant votre profonde timidité, de vous livrer à nu et de manière si « excessive » pourrait t on dire, pour aller plus loin, dépasser vos peurs, vos angoisses ou vos faiblesses. Autrement dit vous avez réussi ce que je ne sais pas faire pour moi : passer du statut de victime à celui de vainqueur. Vous avez vaincu vos doutes, vos carences et surtout me semble t il le « mépris » des autres, ces regards blessants que je connais si bien ! Vous avez vaincu aussi la crainte du jugement des autres, ceux qui persiflent toujours. Tout cela ne vous atteint plus, quelle victoire pour vous et quelle chance ! J’aimerais tant y arriver moi aussi !
J’ai tellement travaillé, pendant de si longues années de ma courte vie, tant espéré être un jour reconnu pour ce que j’ai fait, mes écrits.
Voulu aussi être intégré dans ce monde si hermétique et cloisonné….
J’en arrive à me projeter en train de balayer les saletés des autres, sans doute dans un couvent dominicain puisque j’ai un ami confident qui est dominicain.
Je lui ai d’ailleurs parlé de vous, de ce désir de vous rencontrer qui m’est venu malgré ma peur du mal. Il m’a encouragé dans cette démarche en me disant que c’est très bien de vouloir rencontrer des personnes différentes et vouloir échanger des pensées.
Il me semble avoir lu que vous souhaitiez rencontrer des personnes chrétiennes, pour approcher ce milieu par vous-même et voir comment les gens fonctionnent et réagissent. J’en ai parlé à cet ami et il m’a affirmé qu’il serait très heureux de pouvoir parler avec vous, en toute liberté naturellement.
Vous devez savoir que j’ai passé plus de 2 mois avec des intégristes chrétiens très rigoureux. Ils ressemblent à ces moralisateurs qui sont sur vous en permanence et qui refusent de comprendre pourquoi vous fonctionnez ainsi, cette provocation affichée qui vient de loin, de votre enfance, de vos blessures.
Sachez aussi que depuis, j’ai fait la différence entre être chrétien et être intégriste. Les extrêmes ne sont jamais une solution, et je sais de quoi je parle car j’en ai partagé un temps – certes bref – l’idéologie. Il me reste quelques réflexes parfois que je chasse parce que maintenant j’ai compris.
Il est si important de ne pas confondre Jésus et le Vatican ! Ils sont paradoxalement si opposés ! Le Vatican, c’est la vision des hommes, qui croient que la flagellation, la sévérité mentale, l’abstinence et autres rigueurs sont des vertus et un devoir. Alors que Jésus nous a montré la bonté envers autrui, sans nous juger.
Pour moi, l’église c’est l’intolérance, la notion de péché, alors que la religion de Jésus est l’inverse : tolérance, amour, générosité, écoute et partage.
Il faut se souvenir que la Bible a été transcrite par des hommes, à partir d’anciennes écritures, sans doute mal interprétées.
Je crois que Jésus n’était pas aussi strict que cela.
J’espère que vous me lirez un jour et que j’aurai la joie de pouvoir vous rencontrer et vous serrer la main, Monsieur Marilyn Manson.
Vincent Blénet