texte de mon ami Frère Emmanuel !
20 mai 2015 par vincent
Il est des hommes dont l’orgueil consiste à penser que l’expérience de l’autre est aussi la leur. C’est comme moi disent-ils. Mais est-ce comme eux ? Certes, une matrice émotionnelle, celle des peurs, des joies, des souffrances ou des deuils est commune aux hommes, un langage commun existe au-delà des mots, mais la réalité n’est-elle pas unique, irréductible à celui qui la vit parce que chaque être est unique. Je ne serai jamais l’autre et ce qu’il ressent lui est propre, à lui, seul, rien qu’à lui. Mais bien souvent, au lieu de creuser le mystère de l’autre, je le réduis d’une superbe violente à ce que je suis, signe en réalité de la paresse et du peu d’attention que je lui accorde.
D’une distance livresque narcissique, le lecteur se cherche dans la lecture d’un roman, il attend qu’on parle de lui alors même que ce n’est pas de lui que l’on parle, mais d’un autre. Non, ce n’est pas comme toi, et toi, tu es seul, seul dans ton monde, dans tes émotions, dans ta souffrance, comme celui qui t’écrit. Ce préambule est nécessaire parce que j’affirme que Vincent Blénet est Vincent Blénet. Ce n’est pas moi, ce n’est pas le lecteur de ce livre. Ce n’est pas non plus Marylin, ce musicien chanteur qu’il affectionne avec frénésie. On ne peut comprendre Monsieur Blénet que d’aucuns d’un verbe affectueux nomment l’archimandrite, à partir de soi. Monsieur Blénet est un homme singulier et il n’y en a pas d’autres comme lui. J’ai eu le privilège de le rencontrer. Son langage est unique, son cœur, son corps, sa respiration, sa peau, ses cheveux, ses frayeurs, tout cela n’appartient qu’à lui, des questions essentielles aux questions existentielles.
Voulez-vous connaitre Monsieur Blénet ? Il vous faut donc entrer dans son univers, vous laisser saisir par ses mots, les distorsions violentes où le vulgaire côtoie le sacré, où les récurrences vont jusqu’à l’obsession, où les fantasmagories célestes s’allient au monde sublunaire décapant et mortifère, mais où la poésie qu’il manie avec une profondeur rare transperce soudain son univers pour laisser découvrir un monde que nul n’avait alors soupçonné. Pourquoi vouloir connaître Monsieur Blénet ? Parce que c’est un homme et qu’il a un secret propre, tout comme chacun de nous. Ce secret dévoile un monde infini, surprenant, inattendu, celui d’une humanité capable de tout, capable de rien. Vincent Blenet est un homme céleste. Il n’est pas un ange, mais il les aime, sans doute parce qu’il aspire à les rejoindre et à vivre comme eux. Il rêve d’un corps libéré de la servitude de la bouffe et de la transpiration. Vincent Blenet est un homme du Moyen-Âge car il est une question qu’il n’omet jamais de se poser, celle du salut. Suis-je damné ? Irai-je en enfer ? Suis-je condamné à être le régal sadique de Lucifer et de ses acolytes ? Un oui encre chacune des pages de ses nouvelles, inquiet, révolté, angoissé.
Si l’aventure d’une ironie souvent tendre permet d’oublier un instant la question, elle ressurgit avec sa réponse amère et violente. L’espérance est la grande absente dans la vie de Monsieur Blénet. La foi, il l’a. Il l’affirme, et même s’il vitupère contre l’acidité mordante d’un Dieu lointain, indifférent ou pervers, il croit en Dieu de toute son âme. Mais l’espérance ? C’est une autre affaire. Pourquoi n’espère-t-il plus ? Parce qu’il a connu la nuit, la nuit noire où il n’y a pas une étoile, pas la moindre poussière de soleil, rien, un simple néant ouvert sur un Cri sourd et noir que nul n’entend et ne peut voir. Si l’enfer est un monde de feu habité par les âmes perdues, Vincent Blenet nous ouvre à une autre représentation, celle de l’atmosphère de murs étriqués et resserrés, composite de molécules chimiques oppressantes et aliénantes.
Celui qui y a goûté le poison est condamné, plus encore que l’héroïnomane, à les ingurgiter chaque jour de sa vie. Pas d’échappatoire. Plus d’échappatoire. Dans cet univers, l’espérance est revêtue de noir. Et c’est cela aussi l’homme. Mais est-il vraiment sans espérance ? J’affirme pouvoir dire que s’il l’est souvent il ne l’est pas toujours, et malgré son expérience. J’affirme aussi croire que Monsieur Blénet est un homme qui me précèdera au Royaume. À chacun sa foi. La mienne est celle-là. Je ne suis pas inquiet, mais lui l’est, et il ne peut que l’être. Je l’ai compris. Pour autant, voudrais-je qu’il soit comme moi ? Non car Monsieur Blénet est Monsieur Blénet, et il n’y en a pas d’autre comme lui. Il nous montre que l’humanité est sans frontières, infinie, surprenante, insaisissable. Mais elle n’est jamais sans ressources. Lire Monsieur Blénet, c’est les découvrir.