Rencontres avec Vincent Blénet et Catherine Meylan
13 août 2018 par vincent
L’envers du décor
Par Catherine Meylan
Vincent a subi très jeune la violence et le mépris.
Depuis, il cherche à plaire à tous, tout en se restreignant, en se bridant et parfois son comportement cache sa colère. Même s’il a toujours voulu se démarquer de son père, aujourd’hui il assume enfin son désir. Et bien qu’il se frotte à une jeunesse peu délicate qui copie la mode, manque de personnalité, et qui fait preuve d’égocentrisme, Vincent reste constamment en recherche de vérité. Un jour, il la trouvera, j’en suis certaine.
Malgré le fait que pendant trois ans l’expérience de socialisation n’a pas été concluante – il s’est laissé dévorer par le lion féroce de l’ère moderne, Vincent a su rester lui-même – véritable et sincère. Et Vincent devrait se réjouir, il est habité par ce désir de beauté et de vérité. Ces désirs le font tous les jours grandir et ses rencontres avec les femmes fructifient sans cesse son âme. Vincent est écorché vif mais a un réel talent, il est sensible à l’amour, et n’est pas comme il pense dans l’enfer. Son talent est un don, personne ne va le lui enlever, il ne va pas le perdre. Il faut seulement qu’il passe outre ses angoisses et qu’il se laisse vivre. Je lui souhaite donc d’assumer sa personnalité avec patience et humilité et laisser aux autres le moyen de se découvrir. Il faut que Vincent garde à l’esprit qu’il est entouré, a des amis et il n’est pas seul.
Entretien avec Vincent
Catherine Meylan Timide, incompris, manque de confiance en toi, pas en phase avec les autres tu te sentais exclu et, face au désarroi et au mal d’exister, tu t’es effacé sous une pression trop lourde. Comment tout cela a-t-il commencé ?
Vincent Blénet Enfant, je me sentais différent. À l’école, les autres enfants distillaient leurs pulsions sadiques gratuitement, sur celui qui était introverti et innocent. J’étais démuni et effrayé, et je n’osais pas me défendre. Cette fragilité a ouvert les portes de mon subconscient et j’ai été noyé par la destruction et le chaos. Dans ma vie, je suis toujours passé d’un cercle de l’enfer à un autre. J’ai vécu la vie comme un viol. Aujourd’hui je ne rêve plus, je n’ai plus espoir, j’accomplis mes cauchemars. Je vois plus de vertu dans le mal que dans le bien. Ce sont toujours les pourris qui s’en sortent. Dieu n’aime que les puissants. Mais cela a dû commencer bien avant.
C.M. Que veux-tu dire ?
V.B. J’avais honte de ces réactions à mon égard, honte de moi, je me sentais coupable, comme si une mauvaise fée s’était penchée sur mon berceau faisant de moi un poids pour les autres. Pour moi, il n’y a aucune échappatoire.
C.M. En fait, pour toi c’était comme une fatalité ?
V.B. Oui, tout à fait. Je crois que je suis venu au monde avec une mauvaise image de moi. La vie c’est une prison, quelque part. À mon sens, les autres ont eu l’occasion de vivre leur vie, mais à moi, on ne m’a pas laissé ce choix-là.
C.M. Un enfant ne pense pas ça spontanément. Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
V.B. Ma mère était avec un « monsieur » riche, aimant et attentionné ; il s’appelait Max. Maman voulait un enfant mais Max ne pouvait pas en avoir. Un autre homme a profité de la situation et séduit ma mère, entraînant la séparation du couple. Cet homme, c’était mon père.
C.M. Et alors ?
V.B. Maman a eu une grossesse difficile, je l’ai mise en danger. Tous les spécialistes lui disaient qu’elle allait faire une fausse couche. Elle a été stressée de manière permanente durant neuf mois. Et quand aujourd’hui je la vois complètement absorbée par la propagande télévisuelle, notamment France TV et toutes les fictions, j’ai l’impression qu’elle essaie de fuir sa vie, et tous les problèmes que je lui cause. Pourtant, ma mère est la seule personne qui me maintient en vie – la mort m’ayant pris ma grand-mère et mon père –, si je me lève chaque jour c’est pour elle, et si je dis que je veux rester vivant, c’est pour passer plus de temps avec elle, et que la mort la laisse auprès de moi.
C.M. Et ton père alors ?
V.B. Ma naissance n’a pas été un bienfait pour lui. Mon père s’est avéré être un homme violent. Il était jaloux de moi et je l’ai vu battre ma mère à de nombreuses reprises. Je m’en suis senti coupable. Il était violent avec moi aussi, m’interdisant les câlins si importants pour la santé mentale des enfants et il m’insultait. Quand ma mère m’embrassait le front, il lui disait : « Arrête, tu vas en faire un pédé ».
C.M. Quand tu as été assez grand pour qu’on te parle de Dieu, que tu t’es mis à y réfléchir, que s’est-il passé ?
V.B. Je me voyais comme celui qui doit souffrir pour épargner les autres que Dieu aimait. Je n’ai jamais senti l’amour de Dieu mais j’ai senti qu’il n’y avait pas d’espoir ; Dieu apparaissait comme un punisseur, un bourreau.
C.M. N’as-tu jamais prié ?
V.B. Si, en 1995, à genoux, mains jointes, j’ai prié : « Délivrez-moi du scolaire, des gosses, de la vie… » – Et la réponse a été encore plus de violences et de tourments ; et puis la psychiatrie qui m’a volé ma vie, la négation extrême de ma sexualité, voire une négation phobique et maladive, la perte de confiance en moi, même pour écrire. Alors ça a été l’abandon de l’espérance, je ne pouvais plus croire que j’allais être sauvé. J’ai toujours senti que j’étais voué à l’Enfer. Et aujourd’hui encore je suis sans cesse poursuivi par mes hantises de pages blanches, et la peur de ne pas être créatif.
C.M. Et pas un moment de répit ? Jamais un espace positif ?
V.B. J’avais hélas la vanité de croire que, finalement, j’avais un don surnaturel et que, par conséquent, j’avais l’impression de faire partie d’une élite spirituelle et ésotérique, que je pouvais juger mes semblables de haut tout en me mettant plus bas que terre. Je pensais avoir une mystique complicité avec Jésus ; et que de là viendrait mon salut et que je serais exempté de l’Enfer.
C.M. Tu as trouvé des pistes ?
V.B. J’essaie de croire, à travers mes oeuvres, que j’ai une importance. J’ai toujours rêvé d’être un cinéaste, un artiste. J’avais besoin de créer des images, des histoires, des situations. Je regardais beaucoup de films. Si lors de l’écriture de Cieux FM, j’étais plus dans un côté hautain, méprisant et suicidaire, Gazhell m’a permis de faire évoluer mon univers en gardant le côté religieux, mais sans être prédicateur. Même si j’y évoque souvent l’enfer, je prône la volonté de rester en vie, de survivre. Je fais désormais la différence entre Satan et Lucifer. Par exemple les intégristes montrent le côté obscur de Satan pour effrayer les fidèles afin qu’ils suivent le dogme, alors que Lucifer est plus humain, plus proche de l’esprit humain. Il est tellement isolé en Enfer qu’il ne peut être qu’effrayant, car il est en manque d’émotions. Voilà pourquoi chères Gazhelles, un geste peut tout changer, et ça ne vous tuera pas.
C.M. Tu as quelques exemples ?
V.B. J’aimais le côté fantastique et ténébreux de Tim Burton avec Batman : le Défi et Beetlejuice. J’aimais aussi l’humour de Crocodile Dundee, personnage fascinant qui impressionnait tout le monde, un vrai catalyseur ; je rêvais d’avoir ce côté populaire, d’avoir mes propres amis. Il avait une prédilection pour le rire, et savait en faire une force. Tout le monde le respectait et était ami avec lui.
C.M. Et à part le cinéma, où trouvais-tu du réconfort ?
V.B. J’aimais aller chez ma grand-mère, à Montpellier, mon sanctuaire ; une mamie marrante, gentille, attentionnée. Elle m’aimait sans condition et veillait à mon bien-être. Mais plus on grandit, plus on traverse les flammes et plus le blâme de Dieu est présent.
C.M. Donc, tu en reviens à tes souffrances ?
V.B. Je vis beaucoup dans mon passé chaotique, c’est une manière de faire comprendre aux autres que j’ai vraiment souffert et que la vie m’a violé. Je ne mens pas sur mon passé, sur mes traumatismes, je suis peut-être excessif quand je raconte des choses, parce que je suis à vif et très sensible. On m’accuse d’avoir réinventé mes souffrances, alors que je suis sincère, et je le vis mal.
C.M. Est-ce que tu as une idée du bonheur ?
V.B. Oui, avec un ordre d’idées. D’abord, écrire, écrire tout le temps, arriver à développer mon propre univers mystique, avec des textes aux univers poétiques d’anges, de philosophie Gothiques et enflammées, être toujours capable de faire plein de livres, de rester toujours apte à être créatif, imaginatif et poète. D’être dans la même force que les grands écrivains du XIXe siècle. L’écriture me permet de voyager et de m’affranchir de ma timidité maladive. Elle me permet d’exister et de montrer que je fais quelque chose de ma vie. Ensuite, être noyé dans l’océan de la sexualité féminine, avec de belles filles. De ne jamais ressentir les carences de leurs faveurs libertines et littéraires. Libertin et littéraire, c’est mon rêve. Pour être heureux, j’ai besoin aussi de faire rire, de faire le pitre, et qu’on me trouve sympathique et amusant. Car, comme dit ma maman : « Femme qui rit, à moitié dans ton lit ». Puis bien délirer avec mes amis : Catherine, Sœur Rachel, Jean-Marie, Régis, Prudence, Lise, Lucas, et Bastien et la team du Bouchon St-Roch, Isaac, Charly, Guillaume, etc. Aujourd’hui, j’essaye de me construire moi-même et de ne plus vivre le bonheur à travers un héros qui n’en a que faire de moi. Je vis, j’existe, je suis vivant, et c’est amplement suffisant.
C.M. Pourquoi, pendant longtemps tu t’inspirais de Marilyn plutôt que d’un autre ?
V.B. Je rêvais d’Hollywood mais j’étais déconnecté de la réalité. Mon passage par la psychiatrie a du reste cassé beaucoup de choses. Et puis un jour, en 2005, j’ai acheté un livre de Chuck Pahlaniuk, un recueil d’articles de presse, et je suis tombé sur un portrait de Marilyn. Ça a été « la Rencontre » : il avait l’air humain, intelligent, une vie intéressante, très tourmenté. J’ai vu beaucoup de similitudes avec moi. Je me suis pris de fascination pour le personnage. Cela m’a permis de découvrir mon identité Gothique, l’attrait pour ce qui est mystique, anges, vampires, et le rock et de me la réapproprier.
C.M. Une sorte d’identification donc ?
V.B. J’ai rêvé d’être comme lui. Il a été mon icône, mon héros, mon modèle. Performances scéniques, créativité littéraire, il m’a donné des leçons de travail, des outils. Ça m’a centré sur la poésie des mots. Il m’a permis de m’approcher plus près de moi, de ce que je voudrais être dans la vie. Sa violence et celle des concerts m’inspirent pour certains textes sur les anges, me permettant d’extérioriser cette rage addictive qui me consume.
C.M. C’est donc une source d’inspiration et un moyen d’échapper à tes souffrances ?
V.B. Absolument, car l’écriture me permet de gérer ma vie. Quand je suis capable de faire un texte, je suis plus apaisé. Je suis un révolté contre le conformisme. L’écriture c’est mon être, ma raison, ma lucidité, mon « tout ».
C.M. Qu’est-ce qui pourrait te rendre plus tolérant ?
V.B. Si j’avais moins peur de tout, je serais plus tolérant. Si j’arrivais à briller auprès des jolies filles, je serais plus tolérant. Aussi, si j’avais moins de frayeurs littéraires, de pannes d’inspiration et de pages blanches. J’ai peur de l’abandon, peur d’être rejeté. Que va être la prochaine étape de l’horreur ?
C.M. Quel est le message que tu cherches à faire passer dans ton livre Gazhell ?
V.B. J’ai envie que les filles qui lisent mes textes soient émoustillées tant dans l’âme que dans le corps. Et aussi pouvoir leur dire que j’aimerais pouvoir bénéficier comme les autres de leur tendresse et de leur érotisme. J’ai envie de complicité et de respect. Je ne suis pas pour la seule consommation. J’aimerais tellement m’endormir dans les bras d’une jolie jeune femme. Et pour finir, j’aimerais qu’elles aient un choc, celui de comprendre enfin que l’amant idéal qu’elles convoitent n’est pas forcément celui qu’elles pensent l’être. Qu’elles se rendent compte que l’habit ne fait pas le moine et que chacun mérite d’être aimé. Et que même pour une nuit, derrière cent cinquante kilos de carcasse, il y a un coeur sensible capable d’aimer et qui peut être écorché. On m’a jeté un sortilège dès mon berceau ; comme dans l’histoire de La Belle au bois dormant, j’attends qu’un doux et tendre baiser me réveille. Je ne peux pas conjuguer argent et affinités, pour moi ce sont des choses qui ne se tarifent pas. C’est seulement un droit humain.
C.M. Une référence à ton ouvrage précédent ?
V.B. Dans Cieux FM j’ai voulu attaquer l’indécence et l’impolitesse de la jeune génération, et l’absurdité de la culture contemporaine aux idéaux matérialistes. Mais à la suite de la parution de l’ouvrage, j’ai quand même eu droit à des menaces de mort et un stress permanent. Et ça a aussi contribué à dénaturer et corrompre ma vision des femmes.
C.M. À l’inverse du Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde, le coeur de Vincent force l’admiration.
Ces propos ont été recueils dans le domicile de Catherine Meylan en Suisse, auteur des calligraphies illustrant Cieux FM, et Gazhell.