« La Révolution Oubliée » (Colombière & Stella)
15 sept 2018 par vincent
Un an d’écriture, j’ai 16 ans. J’atterris en HP, pavillon 19-section adultes. J’ai été interné suite à la pression des services sociaux et médicaux qui ont conduit ma mère à me faire hospitaliser en psychiatrie. Je sais que si elle ne l’avait pas fait, les flics seraient venus me chercher de force à la maison pour m’y conduire. Motif invoqué : je crachais dans des sacs en plastique que je trimbalais partout avec moi, y compris dans la rue et refusais d’avaler ma salive et craignais d’absorber les postillons des autres par peur de perdre ma personnalité. Autre raison, j’ai fui l’école où j’étais traumatisé par la violence psychique et physique des autres élèves, pour pouvoir enfin m’adonner à la seule chose qui me passionnait : l’écriture. Ce qui fut considéré comme le « Péché ultime » !!!
J’arrive à l’hôpital psy. A ce moment je ne réalise pas encore l’endroit où je me trouve. Je vois des gens étranges arpenter les couloirs et des infirmiers qui m’observent prêts à me prendre au tournant. J’aperçois maman sortir du bureau des internes en pleurant, les infirmiers s’empressant de la séparer de moi. Elle doit même s’en aller sans me voir. Je commence à m’inquiéter sérieusement… Durant mon premier entretien avec l’interne, je l’insulte de façon virulente parce qu’il refuse de me rendre ma liberté, donc ma vie en quelque sorte, lui n’a pas apprécié et s’est fait un devoir de se venger sur moi à chaque occasion avec son faux sourire de faux cul. Dans leur bureau, je me sens observé par l’ensemble du personnel soignant, qui semble prendre un certain plaisir à me souligner que n’ayant que 16 ans, je devais faire tout ce que l’on me dirait de faire, point ! Ils se regroupent autour de moi, d’autres viennent les rejoindre et je me sens cerné. Ils m’accompagnent dans une cellule comme si j’étais un tueur récidiviste. Ils la nomment « la chambrette »…Elle est marquée par ses anciens locataires. Ils me demandent de me mettre en pyjama et m’allongent par terre en me maintenant au sol afin de m’injecter les camisoles chimiques dans le cul, sous le regard des autres. J’ai le sentiment d’être comme un veau à l’abattoir. Ils repartent et ferment la pièce à clef, me laissant seul avec les effets secondaires des drogues injectées pendant quelques jours avant d’intervenir. Mes yeux restés bloqués au plafond, ma mâchoire pendouille, je me sens complètement vidé, comme un zombie. Après leur départ, je me lève, je devrais dire je rampe, vers la fenêtre à barreaux et plastifiée (impossible donc à ouvrir) et je vois maman qui part en pleurant, effondrée dans sa voiture conduite par son frère, mon oncle. Je me rallonge sur le matelas posé à même le sol et me dis que je viens d’entrer en enfer. Je ressens mon développement mental et mon aptitude à écrire en danger.
Je passe la première semaine totalement isolé, à regarder les allées derrière les barreaux défoncés. Je me brûle les mains sur le radiateur et je m’en fout car je pense ne plus rien avoir à perdre. Debout contre le mur, ou sur mon matelas, je réfléchis et tente de discuter avec quelques patients à travers la porte de ma cellule qui viennent, alertés par les coups que je donne dans la porte. D’ailleurs je ne cessais de taper contre cette saloperie de porte, tout le temps, à tel point qu’une fois un patient qui était dans une chambre voisine est venu me dire à travers le judas « s’il te plaît, arrêtes de taper, je ne peux pas dormir et j’ai mal à la tête avec tes coups ». J’appréhendais le moment où je devais aller aux toilettes à cause des effets des cachets qui me rendaient naze, je n’avais pas assez de papier dans les chiottes, qui bien sur n’avaient pas de couvercle ! Elles étaient d’ailleurs vraiment « limite »…
On me sortait de cette « cage » uniquement pour les présentations, les infirmiers me regardaient d’une manière inquisitoire, le psy me pose des questions alors que je me sens comme un « légume » sous l’effet des drogues et j’ai du mal à comprendre ce qu’il me demande. La fatigue intense perturbe mes réponses à leurs questions, qui sont immédiatement inscrites dans mon dossier comme preuve à charge contre moi, je suis devenu un sujet d’études que l’on décortique, pour des universitaires soucieux d’obtenir leurs diplômes par la pratique sur des internés comme moi. Une femme, probablement médecin, venait parfois avec des étudiants en médecine pour me faire faire des tests avec des cubes et un tas de trucs, histoire de me jauger le cerveau sans doute ?… J’avais le sentiment d’être comme un rat de laboratoire. Lorsqu’ils avaient terminé leurs « jeux » sur ma personne, ils me renfermaient dans ma cage et me laissait à ma solitude et mes angoisses. Pendant cette première semaine, je passais mes jours à attendre…attendre… mais quoi ?
On me donne des affaires que maman a apportées pour moi, sans que je puisse ni la voir ni lui parler, naturellement ! Elle me fait passer des magazines spécialisés sur le cinéma et l’écriture, ma seule passion, et quelques gâteries pour me rendre les choses moins affreuses. Cela me vaut des moqueries et railleries du personnel soignant, surtout quand je me mets à pleurer en pensant à maman, à la vie à l’extérieur, à la maison. J’entendais alors des remarques du style « maman, maman… » D’un ton presque cruel. Sur la demande de l’interne qui semble me détester, un médecin vient me faire des tests de réflexes afin de savoir si je peux subir encore plus de pression mentale et d’enfermement. Quand les infirmiers viennent dans ma cellule, je tente d’entamer un dialogue avec eux, mais si certains d’entre eux faisaient l’effort de m’écouter, voire de me répondre, la plupart s’en foutaient et repartaient sans rien me dire….L’attente est si longue dans cet univers clos et si austère !!! La seconde semaine, j’ai le droit de prendre mes repas dans le réfectoire, donc d’avoir un semblant de contact avec les autres internés. Seul moment où je retrouvais une illusion de vie car tout de suite après les repas, on me renfermait dans la « cage » que l’on refermait à clefs. Le bruit de cette clef dans la serrure me poursuit encore ….
Les infirmiers n’oublient jamais de me rabaisser et de me « tenir en laisse », psychologiquement naturellement, notamment à cause de mon jeune âge. Ils s’octroyaient tous les droits et ne manquaient pas d’amener leurs collègues des bâtiments voisins pour exhiber la « chose » de 16 ans, « le cas » que j’étais. Enfermé et confus dans ma cellule, je me demandais si j’étais de ce monde ou sur un autre, complètement différent avec ses règles étranges, ses interdits multiples, car il est vrai qu’il existe deux mondes biens distincts : l’extérieur où on a des droits et des libertés, et l’enfermement avec ses codes où on n’a plus droit à rien et où tout devient source d’angoisse. Difficile de s’habituer à ça, je n’étais pas préparé ! Comment, dans cette cage, puis je avoir envie de vivre ainsi ? Le suicide me traverse l’esprit pendant que je fais les 100 pas sans cesse dans la cellule. Manque de chance, pas un miroir, pas un meuble, les fenêtres à barreaux sont scellées et plastifiées. Il n’y a pas de lit, juste un matelas par terre, et dire qu’il y a un peu moins de deux ans les gosses du collège me donnaient des conseils pour bien réussir à me suicider…
Le temps passe….
Sur le moment c’est le psy qui me suggère de façon assez lapidaire et autoritaire, d’arrêter d’écrire et me dit qu’il serait plus intelligent que je distribue le gratuit de la région dans les boites aux lettres, en me précisant que c’est ce qu’il y a de mieux pour moi car je n’arriverai jamais à rien avec mes écritures. Ces chers « hôtes » si hospitaliers me font même passer des tests de Q.I obligatoires alors que je suis imbibé de neuroleptiques, comme si j’étais un « dangereux ». Ensuite ils convoquent ma mère à qui on a interdit de me voir et de me parler, pour lui signifier que je suis un attardé mental, « limite débile » lui dit l’interne qui lui conseille d’envisager de me mettre dans un centre spécialisé, et profitant de ce précieux conseil pour lui indiquer et donc promouvoir le centre x tenu par des collègues, ça doit servir à ça les copains…
Ils filtrent aussi mon courrier, ils ne doivent pas avoir le temps d’acheter les magazines people et potins pour discuter entre deux internements de Robert De Niro, à poil sur la terrasse de sa suite, surpris par les paparazzis et en couverture ! Pourtant, même à poil, De Niro leur plaît et les épatent, il a le pouvoir, l’argent, la gloire, tout ce dont ils rêvent. N’ayant guère de ragots à se raconter, ils me font sortir de ma cage et dissèquent la lettre que j’ai écrite pour ma mère avant de concéder à la lui remettre lorsqu’elle vient chaque jour, bien que je ne puisse la voir. Elle, elle venait le soir dans le parc de l’hôpital, c’était l’hiver et la nuit tombait tôt. Alors elle garait sa voiture le plus près possible de la fenêtre de ma cellule et apercevait ma silhouette de loin, à travers les arbres dénudés et les barreaux de la fenêtre. Ils en profitent, en me questionnant sournoisement, pour m’arracher à l’usure une phrase considérée comme « malheureuse » qui justifiera que je suis un danger pour la société et qu’il faut me garder enfermé et augmenter le dosage de mes drogues. Ensuite ils me ramènent dans ma cellule où je retrouve pour me réconforter les magazines que maman m’a fait parvenir et au travers desquels je rêvais d’une autre vie, d’un autre monde, avec entre autres Brad Pitt et des acteurs que j’affectionnent particulièrement, par le biais des articles et photos que je regardaient inlassablement, les tablettes de chocolat entamées que je grignotais de temps à autre et une vieille bouteille remplie d’eau du robinet, dégueulasse, que les infirmiers m’avaient généreusement laissée pour apaiser ma soif alors que je crachais pour ne pas absorber la salive de quiconque. Souvenir pénible !
Le temps passe encore…..
Ils m’obligeront plus tard à prendre un troisième comprimé qui me rendra amnésique et éteindra mon énergie, tout en me faisant énormément grossir. En effet ils me disent de façon très autoritaire d’avaler un cachet supplémentaire en m’expliquant que de toute façon je n’ai aucun choix de refus !!! J’avais tellement peur de « représailles » que je me taisais et obtempérais. Je me croyais dans « vol au dessus d’un nid de coucou », ambiance…. Ils savaient en effet se montrer plus que « persuasifs » avec des menaces à peine voilées d’enfermement renforcé, de privations de visites et autres perspectives délicieuses… A vrai dire, je n’avais pas encore le droit de voir ni de parler, ni même d’entendre ma propre mère, ni ma grand-mère, alors leurs menaces !!! Ils ne cessaient de me rappeler qu’étant mineur je n’avais pas vraiment le droit de quoi que ce soit. Pas même celui d’écrire, qu’ils jugeaient absurde, et me bassinaient tout le temps en me disant que je devais reprendre des études (ce qui me traumatisait un max). Je crois que c’est la seule fois où je me suis vraiment rebiffé avec fermeté. Je n’ai pas repris l’école.
Une fois, j’ai refusé d’avaler le repas que l’on m’avait donné, je n’ai donc rien avalé ce jour là parce que je trouvais ça dégueulasse. Alors ils ont convoqué ma mère pour lui interdire de m’apporter des gâteries, genre gâteaux ou chocolat, de sorte que je mange leur nourriture. Evidemment elle a eu droit, tout comme moi, à une pluie de reproches ! Ils surveillaient donc tous les colis que maman me faisaient parvenir et me les reprochaient à chaque fois, ainsi que mon acharnement à vouloir écrire envers et contre tout. Je me sentais fliqué en permanence, comme pour tous les autres « pensionnaires ». Par exemple si on regardait un film à la TV en prime time, ils arrivaient à 22 heures pile et éteignaient le poste en nous ordonnant d’aller nous coucher. Si on s’avisait de protester ça donnait : « vous n’êtes pas chez vous » nous disaient ils durement. Lorsqu’on dormait, ils venaient toutes les heures vérifier, munis d’une lampe torche, que nous dormions, histoire de voir qu’on ne s’avisait pas de se distraire en écoutant de la musique ou en lisant, ou bien encore qu’on n’essayait pas d’attenter à nos jours… J’appelais ça « la ronde des suicidés » ! Nous avions l’obligation de nous endormir à 22 heures et de nous réveiller chaque jour à 8 heures, c’était réglé comme une horloge, comme on le fait pour le bétail dans les fermes… Ils appelaient ça la discipline ! On nous ordonne de nous laver, alors qu’on ne peut pas sortir de ce trou, et qu’on est considéré comme des objets, des « cas d’études », dont on peut trafiquer le cerveau à volonté. Nous sommes comme des cobayes qui testent les drogues avant leur mise sur le marché sans doute ? Autrement dit, si leurs drogues ne sont pas bonnes, les « bonnes gens » n’auront rien à craindre, c’est nous les « internés » qui trinqueront, pas grave …Nous sommes de toutes manières considérés par la société comme des êtres à part, inférieurs, et que de toutes façons ce qui peut nous arriver est sans conséquence pour la sacro sainte société, l’ordre ! Et puis, d’une certaine façon, tout le monde y trouve son compte, les assurances, les mutuelles, le corps médical, bref, c’est dans l’ordre normal des choses tout ça. On m’a obligé à faire du sport avec des trisomiques qui arrivaient avec le cul à l’air, et un prof de gym qui se la jouait « grand sportif génial » et ressemblait à une caricature. Quand je pense que la société, les « bonnes âmes » comme on dit, nous prônent la tolérance vis-à-vis des trisomiques, alors qu’en fait ils finissaient avec nous, enfermés. Je les voyais dans les allées comme des âmes en peine, abandonnés à leur sort, défoncés par les camisoles chimiques et bien tristes…
Le temps passe….
Les psys voulaient organiser l’évolution de ma vie, mes activités présentes et futures en me ressassant inlassablement mon jeune âge, le fait que j’étais encore mineur et que par conséquent je n’avais pas la voix au chapitre. Un jour j’ai dû aller à l’hôpital général, pas très loin, encadrer par deux « matonnes » infirmières. J’étais sur la banquette arrière de la voiture qui me conduisait, comme un taulard qu’on transfère d’une prison à une autre. La surveillance était telle à mon égard que je me sentais représenter un véritable danger pour les autres… Pourtant j’avais 16 ans et ne comprenait pas grand-chose à cette situation qui me terrifiait. Dans les autres voitures parfois, j’observais des regards qui me dévisageaient, comprenaient-ils ? je ne le saurai jamais bien sur.
Pendant que je redécouvre pour la première fois le monde extérieur, j’ai l’impression de me retrouver en terre étrangère, tellement on se sent coupé de tout dans cet univers de l’enfermement qui nous oppresse à chaque instant. Je rentre dans cet hôpital sous surveillance. Dans la salle d’attente, je sens des regards bizarres qui me scrutent, des parents qui accompagnent leurs enfants me lancent des regards obliques et quelque part effrayés, comme si ils étaient terrorisés à l’idée que leurs enfants puissent me ressembler un jour. Pendant la visite du médecin, après avoir enlevé mon survêtement, les infirmières se rendent compte que je porte en dessous mon pyjama. J’ai aussitôt droit à des remarques acerbes et maman est à nouveau convoquée pour qu’elle me fournisse des caleçons. Pourtant elle m’en avait donné dans mes affaires mais c’était moi qui refusais de quitter mon pyjama. Il semble que cela représentait une faute majeure ! Arrivent ensuite les reproches parce que j’ai un appareil radio CD que maman m’a offert pour adoucir mon séjour. Le médecin ne bronche pas et évite le plus possible mon regard. Je sens qu’il doit essayer de se contrôler face à l’ « interné » que je représente…de 16 ans. En rentrant, pour la première fois je peux voir maman depuis 2 mois. Nous sommes heureux de nous retrouver après tout ce temps terrible traversé, chacun de notre côté. Mais nous sommes sous surveillance étroite et on s’assure que je passe bien tous les messages que je suis sensé lui passer, notamment sur mon habillement ! Je me sens fliqué. J’avais pourtant autre chose en tête et voulais lui parler de tant de choses. Avant, quand elle venait au pavillon, une infirmière se mettait devant l’entrée de ma chambre pour que nous ne puissions ni nous voir ni même nous croiser. Je ne pouvais qu’entendre le son de sa voix. Lorsque j’étais en cellule, je ne savais même pas quand elle venait car elle avait la consigne d’appeler avant sa venue pour que je ne puisse pas savoir qu’elle était là. Seuls les infirmiers m’apportaient mes repas sur un plateau, avec les drogues que je devais ingurgiter plusieurs fois par jour. A cette période j’ai commencé à être nihiliste et défaitiste sur mon avenir, et dans ce chaos complet je me voyais interné pour le restant de mes jours dans cet enfer. Belle perspective pour un jeune homme de 16 ans qui voit tout s’écrouler de sa vie. La solitude se faisait de plus en plus pesante et je la subissais chaque jour comme une douleur qui, curieusement, augmentait du fait que je n’avais pas le courage de me supprimer. Il me faut donc vivre avec ça, enfermé dans mes 4 murs, comment accepter ça et survivre ?
Le temps passe….
Nous, patients, étions une faune diverse et variée. Il y avait les agressifs prêts à vous foutre des coups de boule pour une parole malheureuse, des dédoublements de personnalité qui passait du noir au blanc sans transition. Il y avait les anorexiques graves, la peau sur les os genre sortie de camp de concentration, des anciens « raveurs » consommateurs accros à l’extasie et le LSD, dont le cerveau semblait gravement endommagé et qui souriaient tout le temps et balançaient leurs tête d’avant en arrière à toute vitesse, comme par un mécanisme qui ne pouvait s’arrêter, lorsqu’ils entendaient une musique techno. Il y avait les vieux dont « on » se débarrassait dans l’hospice, pour laisser la place à ceux en stade critique. Il y avait des léthargiques qui passaient leurs journées à aller et venir dans les couloirs du bâtiment, les allumés pacifistes qui portaient un bandeau sur la tête et à qui il manquait des dents et étaient incohérents et donc incompréhensibles dans leurs propos. L’un d’eux envoyait des « missiles stinger » en guise de postillons, et se baladait toujours avec une radio qui semblait avoir fait la guerre de 14-18 dans les tranchées… Il s’accrochait souvent avec une femme porteuse du virus HIV. Un patient âgé, très dangereux et violent, qui devant nous a tenté de tabasser sa mère. Retenu par les infirmiers, il m’a soudain menacé de me défoncer la gueule en me voyant éclater de rire nerveusement. Et pourtant, on l’a libéré plus vite que les autres, avec un suivi léger….Alors que pour moi, ils étaient draconiens ! Ce patient incontrôlable et impulsif me faisait peur. Une autre, totalement déjantée, exagérait sur le maquillage qui hurlait « rat d’égout » en permanence, comme un leitmotiv. Elle était cyclothymique. Une autre, agressive et prétentieuse, qui restait prostrée sur sa chaise et fumait tous les restes de mégots qu’elle ramassait par terre en s’esclaffant. Il y avait aussi celle qui, forte comme un turc, s’échauffait d’un coup et faisait valser les infirmiers venus pour la calmer. Elle leur disait « vous avez des esprits autour de vous ». Une fois, elle s’est assise devant moi et m’a demandé pourquoi je voulais sortir d’une façon très calme. Il est vrai que certains patients sont tellement habitués à cet univers qu’ils en ont oublié le monde extérieur, la vraie vie. Un jour, elle s’est cassée en profitant de sa promenade, et lorsqu’elle est revenue elle est « passée à la question » : « la prochaine fois, c’est la chambrette » lui ont dit les infirmiers, craignant sa réaction. Il m’est arrivé quelquefois de discuter avec la famille de certains patients qui s’étonnaient de ma présence dans ce service en raison de mon âge. J’avais quand même des amis, Stéphane, Laurence – un garçon manqué anarchiste et rebelle – qui avec moi était très protectrice et sympa. Une fois, j’ai fondu en larmes et elle m’a serré contre elle pour me rassurer. Nous étions devenus assez complices et il nous arrivait de rire ensemble. J’avais de l’affection pour elle, qui semblait réciproque. Je voyais bien que la plupart des patients étaient impressionnés par le fait que j’ai traversé les premières semaines en cellule malgré mon jeune âge, sans en sortir aigri. Ils s’étonnaient même de ma présence parmi eux, dans ce service : « qu’est ce que tu fous là, tu devrais être dehors et profiter de la vie au lieu d’être ici avec nous » me disaient ils souvent. Celui qui était mon ami, c’était Marc, 40 ans, qui avait fait l’armée et le mitard.
Le temps passe….
Les journées à l’hôpital s’accumulaient. Le matin il y avait le sport, après je rentrais écouter de la musique, je me baladais 3 fois par jour dans les allées jusqu’à un bâtiment où je regardais le trafic des voitures, la vie extérieure, rêveur ! Il m’arrivait de téléphoner avec ma carte à maman ou ma grand-mère dans une cabine défaillante, pour ne pas être écouté, épié, voire coupé quand les infirmiers décidaient du temps qu’ils m’autorisaient pour parler avec maman. Le temps au téléphone avec elle m’était compté !!! Dans le bâtiment je fais des allers et retours incessants où je croise quelques léthargiques qui me saluent et des patients que l’on conduisait en cellule. Je passais beaucoup de temps à discuter avec eux pendant que d’autres, isolés, se mettaient à hurler et à taper dans les portes.
Au début, j’étais avec 2 personnes âgées qui m’écoutaient, et puis il y avait Marc qui était dans une cellule et avec qui je pouvais parler à travers les barreaux de sa fenêtre depuis la terrasse. Une complicité partagée s’est ainsi créée entre nous. Son isolement lui était très difficile à vivre et j’étais le seul avec lequel il pouvait discuter. Un jour, je l’ai vu s’effondrer en larmes alors qu’il était d’un naturel solide, capable de faire face. Mais là, il n’en pouvait plus de son enfermement. Mais pour lui rien ne va changer, il restera dans sa cellule et continuera à subir son sort. Jusqu’au jour où, me trouvant sur la terrasse je l’entends péter les plombs « je veux sortir, je veux sortir » hurle t il désespéré en frappant violemment la porte de sa cellule. Il s’est évadé pendant 3 jours, je n’ai jamais su comment il a pu faire ça, et lorsqu’il est revenu il était sanglé et tenu par deux infirmiers qui l’ont remis dans sa cellule pour encore 2 mois de mitard. Ils ont décidé après de lui balancer des électro chocs dans la poitrine afin de le rendre docile. Nous passons beaucoup de temps à converser à travers la fenêtre d’abord, et ensuite lorsqu’il est sorti, dans les couloirs.
Le temps passe…
Je n’ai eu droit qu’aux visites quotidiennes de ma mère, après quelques mois, et à celles plus rares de mon père, séparément. L’interne qui me détestait semblait avoir une préférence pour mon père et comptait sur lui pour faire passer les messages et ordres divers qu’ils voulaient me faire passer. Aux yeux de certains psys ou personnel soignant, la relation avec ma mère était mal jugée car ils estimaient qu’elle était trop fusionnelle, que maman était trop protectrice et trop maternelle avec moi, ce qui était mal jugé. Ils me reprochaient ses élans d’affection, de même qu’ils le lui reprochaient à elle aussi. Mon père quant à lui ne se rendait compte de rien, il se fiait à ce qu’il voulait entendre et que lui disaient certains psys. Aujourd’hui j’ai fait la paix avec mon père, je suis content de le voir de temps en temps même si je regrette souvent qu’il n’ait pas envers moi davantage d’élans et de gestes affectueux. E t puis, il rechigne souvent à se déplacer pour venir me voir, pourtant il habite à 30 kms…
Nous mangions dans un réfectoire glauque, austère, bref, pas la joie ! Après avoir fait la queue naturellement pour ingurgiter nos drogues, file d’attente joyeuse…La surveillance était de tous les instants, même lorsque nous prenions nos repas. Il fallait parler doucement, rire peu et discrètement et manger comme des machines. C’était soupe tous les soirs. Un jour, j’étais à côté d’un type avec un regard absent, complètement coupé du monde et qui me terrifiait. Sa bouche pendait et l’infirmière venait lui donner la cuillérée comme à un bébé, la soupe dégoulinait et son regard me fixait, j’étais effrayé. Les infirmiers venaient parfois nous faire ouvrir la bouche pour vérifier que les cachets avaient été pris.
Une fois, nous avons eu droit à une sortie par beau temps pour pique niquer, et une autre fois nous sommes allés à Palavas pour la journée, enfin quelques rares récréations bienvenues, comme ce déjeuner sur la terrasse de l’hôpital par une belle journée de soleil. De temps en temps, un brin d’humanité, voire de gentillesse, transparaissait chez quelques soignants, bien que la majorité était franchement comme des « matons », ils se sentaient investis du pouvoir absolu. Nous étions très solidaires entre nous, je veux dire les patients bien sur, nous discutions tout le temps dans la salle fumeurs, notre fief, et on riait pour oublier tant de choses en écoutant de la musique…j’entends encore certains morceaux et lorsqu’ils passent à la radio, ou ailleurs, le flot de souvenirs revient comme une vague puissante. Là encore les infirmiers étaient d’une ponctualité exemplaire lorsqu’il s’agissait de l’heure de nous envoyer dormir !
Le temps passe encore…
Les cigarettes, qui étaient un marché très convoité, représentaient autant d’intérêt que les actions de la bourse pour les économistes !!!! C’était une organisation très complexe pour gérer ce marché ! Parallèlement à cela il y avait celui, clandestin, de la marijuana qui se faisait et se consommait à l’extérieur des bâtiments, dans le parc de l’hôpital. Il y a le ballet des locataires de ma chambre, dont un d’origine maghrébine que j’appréciais, et un autre au regard de fou lui aussi, qui se détendait en écoutant les attentas terroristes, les assassinats et les effondrements économiques aux infos de la radio, en se balançant d’avant en arrière les yeux fixes, hagards. Une fois, sa radio m’a réveillé en sursaut à 5 heures du mat en beuglant du classique à plein volume. Lui dormait encore, ça ne l’a même pas dérangé… Et puis un jour j’apprends la mort de Stanley Kubrick à la radio, même à l’intérieur de cet espace carcéral la nouvelle de sa mort transperce les murs et m’interpelle.
Le temps passe toujours ….
La TV était, avec la radio, notre seul lien avec l’extérieur (à part maman). Nous la regardions avidement, mais nous étions tellement absorbés par l’environnement de l’HP que notre vision en était transformée, moins impliquée. On était surtout préoccupés et stressés par le prochain entretien avec l’interne dont dépendait tant de choses dans notre quotidien. Il fallait toujours faire face à la situation et ne pas tout montrer, surtout pas nos faiblesses, pour ne pas leur montrer que nous étions inadaptés au monde extérieur et que par conséquent il fallait nous garder, et sans doute que notre futur devait dépendre des services sociaux. Le soir, avant de me coucher, je regardais à travers l’entrée vitrée et verrouillée les lampadaires à l’extérieur de l’enceinte de l’hôpital. Puis j’ai été transféré au service « jeunes adultes » sur les instances de ma mère qui voulait me sortir de là pour que je sois mieux. Mais j’y ai perdu mes copains que je n’avais d’un coup plus le droit de voir ! Où est la logique de cette décision ??? Dans ce nouveau service, ouvert celui là, j’ai découvert les « groupes de parole » avec d’autres illuminés. Par exemple une fille qui, parlant du groupe NTM (autrement dit Nique ta mère) me dit qu’en fait la signification de ce nom est « nettoie ta maison »… La vie à l’hôpital continue pour moi dans un autre décor !
Le temps passe inexorablement….
Aujourd’hui que reste il ? Pourquoi ne nous sommes nous pas révoltés ? Pourquoi n’avons-nous pas tout fracassé dans les bâtiments pour faire entendre notre façon de voir, notre ressenti ? Un peu comme ces jeunes des cités qui font des émeutes dans leurs quartiers. Les internés actuellement doivent travailler pour une misère, à l’intérieur de l’hôpital, afin de payer leurs cigarettes et divers besoins qu’ils peuvent avoir, alors que les psys – seigneurs du capitalisme – arrivent en berlines sophistiquées. Ceux qui sont les plus faibles trinquent toujours pour les autres, les infirmiers contrôlant nos vies et notre avenir social, nous interdisant toute forme de révolte car la menace de conséquences fâcheuses est toujours là, non dite mais bien présente et perceptible. Alors nous nous sommes abstenus, ce qui est une forme de capitulation pour nous. Seuls mes parents auraient pu faire valoir mes droits, ce que maman a fait inlassablement. Les psys lui répétaient sans cesse que ce qu’ils faisaient pour moi était salvateur. J’ai ainsi perdu confiance en moi. Cette capitulation est ma « révolution oubliée ».
Le temps continue de passer…
à propos de mon texte sur la psychiatrie à 16 ans :
« Quand on a vécu dans cet univers effrayant à 16 ans, quand on s’est senti complètement exclu du monde et que, malgré cela, par la force de l’écriture et l’affection de quelques personnes on fait surface et on se met enfin a vivre, même avec des manques, même avec des chagrins et des angoisses… Chapeau Vincent votre force est immense. J’invite tout le monde à lire ce témoignage et bien qu’il soit effroyable, hallucinant, lisez le jusqu’au bout. Vous verrez peut être ensuite les problèmes psychiatriques autrement, vous comprendrez comment accepter la différence et comment accueillir la souffrance sans porter de jugement ». Régine Fournon-Gohier, Auteure et AMIE.