« Tri Sélectif » (sauce Oncle Sam)
15 sept 2018 par vincent
Maman a gagné à la « Green Card Lottery » américaine, organisée par le gouvernement. Quand je dis « gagner », il faut traduire par la possibilité de monter un dossier compliqué et coûteux pour nous 2, seule car elle ne peut assumer en plus les honoraires de l’avocat qu’on lui propose. Maman se tape donc tout le boulot pendant une année, seule bien sûr. Nous devons faire faire des tas d’examens médicaux de toutes sortes pour prouver que nous ne sommes ni éclopés, ni contagieux et donc un danger pour l’Amérique, car il est clair que ce pays refuse les faibles !
Nous arrivons au consulat, près de l’ambassade à paris. L’entrée est gardée par des gardes armés, comme si on allait prendre le bâtiment en otage….Sur le côté il y a une petite file d’attente. Nous devons montrer patte blanche ! Il vérifie par talkie-walkie que nous sommes bien sur la liste des convoqués. Premier passage ok !!! Ensuite, nous sommes dirigés vers une autre pièce où 2 autres mecs, armés eux aussi. La pièce ressemble à un sas de sécurité d’un aéroport. Il y a un portique et des casiers en plastique où sont stockés les biens des gens qui sont convoqués. Il nous faut alors ouvrir nos manteaux et sacs, pour vérifier que nous n’avons rien de suspect, genre arme par exemple. Il est vrai qu’avec ma barbe, ils ont dû penser que j’étais un terroriste fondamentaliste, venu faire sauter le bâtiment ! Nous sommes fouillés soigneusement, ils prennent le sac de maman et son portable, mes clefs, enfin tout ou presque ce que nous avons avec nous, à l’exception du dossier naturellement ! On passe le portique, enfin, et ils recommencent à vérifier avec un détecteur de métaux que tout est en ordre avant de nous laisser entrer dans la cour qui mène au « temple ». A l’intérieur, des files d’attente de partout, surveillées par des militaires, et une grande pièce avec des chaises en fer alignées, genre la sécu, et plein de monde. Tout le personnel du consulat est aussi gracieux que des fondamentalistes islamistes qui vous tiennent en otage avec leurs AK 47 sur une vidéo de demande de rançon…. Remarque, ils doivent sûrement s’emmerder ferme toute la journée à voir défiler des masses de gens et des gosses qui traînent un peu partout dans leurs pattes. Ambiance sécu, version Irak ! On avance et faisons la queue comme tout le monde. Face à nous se dresse un mur de guichets aux vitres blindées, trouées pour laisser passer le son car ils nous parlent à travers des micros derrières leurs vitres.
Notre tour arrive. Une fonctionnaire parlant français appelle maman au micro. Elle présente avec moi notre dossier à tous les 2 qu’elle lui passe sous la vitre. Cette femme rejette aussitôt le mien d’un balayement de la main. « Non madame, pas votre fils » assène t elle à maman ahurie, et moi d’ailleurs. Maman lui demande alors pourquoi mais elle lui répond que maman est la seule à être convoquée et que j’ai 21 ans de toutes façons. Maman lui répond qu’elle a fait depuis toujours son dossier et sa demande pour nous deux, et qu’elle a d’ailleurs payé pour elle et moi les frais de cette loterie faite lorsque je n’avais pas encore 20 ans ! Elle lui précise aussi que, étant sous sa tutelle légale, il n’est pas question qu’elle parte sans moi. La fonctionnaire demande alors pourquoi je suis sous tutelle, maman lui explique donc qu’étant schizophrène elle est responsable légalement de moi. La sentence tombe alors comme un couperet, tout fort devant cette salle bondée qui entend tout : « votre fils est schizophrène et il sera donc une charge pour la société américaine. Il est donc hors de question de prendre son dossier, l’Amérique ne veut pas payer pour lui car il serait un poids pour la société ». Elle lui d’aller se rasseoir et d’attendre qu’on la rappelle.
Nous allons donc nous asseoir. Je suis sous le choc ! On vient de me graver au fer rouge l’inscription « sale schizo » sur le front devant tout le monde. Les gens nous regardent en biais, bizarrement…On vient de me démontrer que mon internement en psychiatrie montre que je n’ai aucun droit, que je suis en quelque sorte un « rebus », que j’inspire le dégoût à cette société capitaliste et lissée. En fait, je comprends que je dois me contenter de ne plus être en HP, mais je dois aussi en assumer les conséquences et cela s’applique aussi à mes rêves d’écritures et mes ambitions… En clair, je me sens indésirable, comme si je polluais ce monde de ma présence. Il me faut accepter cette idée et presque leur dire merci ! Maman me demande de faire des photocopies de tous les documents originaux qu’elle a dû montrer aux gens du consulat (diplômes, certificats de travail, de banque…). Il y a une photocopieuse dans une autre pièce du consulat un peu éloignée, et payante, bien sûr ! Evidemment, il faut de la monnaie et en plus comprendre comment elle marche, tout est écrit petit et en anglais ! Je n’ai pas de monnaie et je demande à quelqu’un qui est là si elle peut me dépanner, en français. « I’m sorry but I don’t understand » me répond elle, je comprends donc qu’il me faudra me débrouiller autrement…finalement c’est maman qui ira les faire, c’est mieux !!!
Après un temps d’attente assez long, maman est appelée une seconde fois par une autre fonctionnaire, derrière une autre vitre à trous. Elle y va avec ses dossiers car elle est déterminée à ne pas lâcher. Elle négocie, explique, montre des certificats d’experts et toutes sortes de documents prouvant que je ne serai ni une charge ni un danger pour quiconque. Mais rien à faire, ces gens restent inflexibles et de marbre. J’observe la salle autour de moi, les américains et les autres personnes présentes, me dévisagent comme si j’étais un alien. Soudain, une femme se révolte dans le hall et hurle en faisant un barouf de tous les diables. C’est une jeune femme noire qui crie, les officiers ont l’air assez gênés. En effet, on lui a refusé l’accès aux Etats-Unis et elle a dépensé tout ce qu’elle possédait pour faire son dossier. Alors elle se rebiffe et les militaires viennent fermement l’entourer pour qu’elle cesse de hurler et qu’elle sorte. « Je n’ai pas fini, je vous enverrai un avocat, on réglera ça au tribunal et vous entendrez parler de moi ! Tu parles d’un pays d’accueil ! » Crie t elle en se faisant expulser par le service d’ordre. Maman, qui en a fini avec sa deuxième interlocutrice, revient me rejoindre et m’explique qu’il nous faut encore attendre car elle doit encore passer une troisième fois devant une autre personne. « Ne t’inquiètes pas, je ne te laisserai pas tout seul » me dit elle quand elle me voit le visage décomposé.
L’attente est longue…
Nouvel appel au micro de maman, mais c’est tout juste si elle comprend que c’est son nom que l’on vient d’appeler tellement il est déformé ! Elle se présente à un troisième guichet, et là c’est une asiatique sèche comme un coup de trique, qui a la grâce d’un rotweiler en situation d’attaque ! Elle aussi rejette violemment mon dossier d’un revers de main méprisant et commence un interrogatoire en règle sur maman, qui lui explique gentiment qu’elle vient de répondre à toutes les questions qu’elle est en train de lui poser. Réponse lapidaire « It’s my job, I’m doing my job! ». ça commence bien. Maman recommence alors à tout expliquer, justifier. Sa vie en détail, ses comptes, les jobs qu’elle a eus, son parcours au scalpel, tout ça en étant obligée de parler tout fort à travers cette putain de vitre trouée et l’autre bouledogue qui hurle dans son micro en lui posant mille questions des plus indiscrètes. Maman lui dit aussi qu’étant responsable de moi, elle ne peut en aucun cas me laisser et partir seule. Réponse cinglante « madame, c’est un choix ! Votre fils est malade, il ne vivra jamais en Amérique car l’Amérique ne veut pas de lui. Donc il vous faut choisir, votre carte verte ou votre fils ! ». Toute la salle nous scrute en biais, c’est super ….vive la confidentialité ! Maman est défaite, elle veut garder une dignité mais je vois qu’elle a mal. Pour moi, pour elle, de cette horrible humiliation publique et de l’inhumanité de cette attitude. Pour arranger le tout, comme maman a travaillé il y a plus de 30 ans en Angleterre pendant une année, on exige d’elle un casier judiciaire anglais !!! Il faudra plus de 4 mois de tractations à maman avec Scotland yard, par téléphone et par courriers, pour obtenir ce fameux papier ! Cette exquise personne lâche alors à maman « vous recevrez un courrier lorsque nous auront reçu tous les documents qui manquent à votre dossier ». Retour vers moi de maman qui semble épuisée et sous le choc. « On a l’impression d’être le diable en personne ! Comme si nous étions des terroristes, des bandits ou je ne sais quoi de dangereux, c’est quand même un comble d’être traités ainsi ! »
Départ de cet endroit épouvantable après avoir récupéré nos affaires. Ouf ! Nous respirons et sommes hors de ce lieu ! Nous sommes tous les 2 choqués, humiliés, piétinés mentalement. Finalement, après qu’elle eût reçu tous ses documents qui lui assuraient d’avoir sa carte verte, des mois plus tard, maman renonce à partir et donc à cette carte tant convoitée depuis des années pour elle et surtout pour moi, pour nous refaire une autre vie, afin de ne pas m’abandonner. Elle a fait son choix, pour reprendre l’affreuse expression de cette asiatique inhumaine du consulat US.
Mon grand père trouve tout cela normal. Nous ne serons donc pas dans ses pattes et ne le gênerons pas. « Ils n’ont pas à être aimables, tu ne rentres pas dans les critères. Ils font simplement leur boulot. Tu dois comprendre qu’ils ne veulent pas de malades chez eux et que tu coûtes à la société sans rien pouvoir apporter pour elle » me dit il au téléphone. Je lui demande de nous aider mais il est furieux contre moi et aussi contre maman car elle a envoyé quelques temps après une lettre à la Maison Blanche pour leur signaler ce comportement inadmissible. Naturellement, elle n’a jamais reçu la moindre réponse. « Décontamines toi de toi-même et redescends sur terre » écrira t il à maman quelques temps après. Cela a créé un grand froid entre maman et son père, pendant plusieurs mois. Je me sens donc tricard aux USA ? Ce qui annihile mes rêves de réussite là bas pour mes écritures, et aussi mes espérances de rencontres. Bienvenue aux Etats-Unis d’Amérique, terre des immigrés sélectionnés, et riches de préférence ! C’est le tri sélectif nouvelle formule… merci l’Oncle Sam !