« Quand Vincent Prie le Ciel » par Régine Fournon-Gohier (666 Nuances de Braises)
15 sept 2019 par vincent
Il fait encore très chaud en ce joli mois de septembre J’arrive sur la place où les tables sont installées pour les écrivains venus présenter leurs ouvrages au Salon des Livres et des Arts de Figuerolles. J’ai eu du mal à me garer et comme je suis en retard je cherche des yeux l’endroit qui m’est, en principe, attribué. Je suis vers le fond…près d’une dame inconnue de moi (mais elle est connue comme auteure) Quelqu’un bouge un peu les tables : je lève les yeux : mon Dieu, qu’il est grand ! Un homme immense, costaud, tout vêtu de noir, le crâne rasé. Il ne passe pas inaperçu. Sa voix n’est pas aussi grave que l’on pourrait penser. Un gentil sourire m’accueille. Je suis un peu impressionnée par sa stature et son empressement : il cale la table, m’aide à disposer mes livres et… non, il les dispose pour moi avec minutie, attention. Il semble vraiment soigneux, voire méticuleux ! Il a l’air jeune. Tous ses doigts portent des bagues argentées. Habits noirs, bagues à tête de mort ? Le look des « gothiques ». Coup d’œil à ses livres : couvertures très belles, titres qui interrogent : Du roman fantastique. Je l’aurais parié ! Nous nous asseyons :
- « Je m’appelle Vincent »
Je ne sais plus comment a débuté la discussion mais elle commence par les banalités habituelles :
- « Qu’est-ce que vous écrivez ?… »
- « Vous êtes édités ou en auto édition ?… »
- « C’est la première fois que je viens ici… »
- « C’est mon quatrième livre. Et vous ? »
- « Le quatorzième… »
- « Oh !!! »
Je regarde un peu les livres de Vincent : le dernier « Gazhell » Plus tard il y aura « De Feux et d’Encres ». Des livres dont la couverture est très belle, mystérieuse, enflammée. Son éditeur est un artiste. Le personnage est singulier, assez étrange, intéressant. Il commence à parler et…de toute l’après-midi nous n’avons pas arrêté de discuter. Au point d’en oublier nos livres qui, du coup, ont rencontré un seul acheteur pour lui et aucun pour moi !
Vincent me raconte, se raconte : son enfance violentée, son père méprisant, sa mère malheureuse, l’école où il n’a pas trouvé sa place et finalement le signalement et l’hôpital psychiatrique.
- « Je suis schizophrène, me dit-il, et je déteste les psychiatres et toute leur clique. J’ai été enfermé, on me donnait une assiette et je mangeais par terre comme un animal. »
Aie ! Me voilà un peu ennuyée. Mais fidèle à ma franchise habituelle je lui dis :
- « Mais vous savez, je suis psy ! »
Comment va –t-il le prendre ?…
Eh bien il ne le prend pas mal. Comme cela m’est arrivé plusieurs fois dans ma vie je me retrouve devant quelqu’un qui n’aime pas les psys mais qui me considère autrement, juste comme une personne qui écoute avec bienveillance ce qu’une autre personne lui confie. Il est schizophrène et n’en fait pas mystère. Il a dépassé le stade où on se cache quand on se sent diffèrent des autres et c’est rare. Je vais oublier tout ce que je sais sur la schizophrénie pour entendre juste la parole d’un garçon que la vie a malmené. Il est jeune, très jeune : 36 ans. Mais il n’a rien d’un gamin. Un langage très châtié, extrêmement poli, mais paradoxalement émaillé de mots crus qui, dans sa bouche, ne sont pas vulgaires.
Lorsque je rentre chez moi après cette journée assez particulière, j’ai envie d’écrire un poème comme à chaque fois que quelqu’un me touche. Je suis partagée entre la compassion et l’admiration : quel drôle de type ! Et comme je n’apprécie que les gens hors du commun (c’est peut-être mon défaut, je ne sais pas) eh bien, là, j’ai trouvé quelqu’un qui « m’interpelle » comme on dit.
Après cette première rencontre, Vincent m’envoie des extraits de ses livres, des pensées, des considérations sur la vie. Il est de plain pieds dans un monde spirituel peuplé d’anges et de démons ; il y a chez lui une immense souffrance, peut être cette souffrance est-elle, d’ailleurs, à l’origine de son talent. Parce que son talent est certain : il explose, il submerge, il éclate comme un orage sur les pages de ses livres. J’écris un poème sur lui, sur cet enfant qui a été malmené, abîmé, traumatisé et qui tente de vivre avec sa différence, sa stature impressionnante, son imagination et ses désirs. Il porte aux poignets des traces de scarification. Il s’est fait mal pour exister.
Je suis stupéfiée par l’élégance de son style. Certes, il n’est pas audible par tout le monde. Les concepts sont compliqués, la relation de Vincent au Diable et à Dieu est complexe, passionnelle, la mort flirte avec la vie. Son éditrice, ses amis ont très bien analysé ses textes. Pour moi, à leur lecture je plonge dans un abîme à la fois effrayant et attachant. J’ai le sentiment qu’il n’est pas besoin de comprendre mais juste entrer dans son monde et regarder, écouter. Bien sûr on aurait vite fait de se laisser envahir par l’irrationnel, un délire de mots, de phrases fortes, d’images magnifiques et insolites. La religion, au sens premier de « relier » est partout présente avec des images de la Vierge, pure et sans tache, à la mesure des aspirations de Vincent, celles d’un monde beau, accueillant, un monde qui l’aurait pris dans ses bras et l’aurait consolé de ce manque d’amour qu’il ressent comme une torture.
Vincent me dit avoir vécu sa jeunesse dans un univers irréel qui, pour lui, existait : un monde que les autres ne voyaient pas, peuplé d’acteurs auxquels il parlait, de personnes superbes qui l’entouraient. Un monde virtuel qui pour lui était une réalité. Comment a-t-il fait pour quitter ce monde imaginaire pour accéder au notre ? Je ne sais pas. Les médicaments qu’il prend en abondance l’aident certainement mais ne sont, je pense, qu’un support. Peut-être la Foi, la hauteur de vue, une forme d’intelligence rare et surtout l’écriture lui permettent de dépasser ses obsessions, ses fractures, pour revenir à une certaine normalité. Beaucoup de gens croient en lui, en premier lieu, sa mère, son éditrice, ses amis qui, chacun à leur manière sont capables de l’entendre et de l’accepter.
J’ai eu la curiosité de me renseigner un peu plus sur ce que l’on appelle les Gothiques ; une forme de contestation née dans les années 70 qui refuse les conventions, qui transforme la tristesse des hypersensibles en look mystique. Par cette apparence qui marie la couleur noire et les bijoux argentée à un grand raffinement de tenues particulières, quelquefois insolites mais toujours très esthétiques. Quand je vois des vidéos de Vincent en particulier, celles tournées dans des églises ou des cimetières, j’ai un peu l’impression de voir l’ange déchu qui traîne sa tristesse en pensant à la mort qui serait le repos de son âme et de son corps. Mais aussi un grand espoir de trouver enfin sa rédemption. Vincent ne se plait pas : il est trop grand, trop gros, trop bizarre, trop diffèrent, il est Trop partout. Pourtant, j’ai vu sa photo d’enfant : quel joli petit garçon ! Il l’est encore quelque part mais ne s’en rend pas compte. Je pense à Demis Roussos qui, lorsqu’il chantait faisait sortir de son grand corps une voix qui ressemblait à celle d’un ange. Vincent ne s’aime pas : pourtant il y a en lui une gentillesse, un respect, des yeux câlins, des jolis sourires : une fille devrait s’en apercevoir.
Là est son grand drame. Il a refusé la sexualité jusqu’à un âge avancé et lorsqu’il l‘a découverte il n’a eu de cesse de chercher celle qui pourrait le combler. Malheureusement, il dit être rejeté par les filles. Peut-être leur fait-il peur ? La manière dont il regarde les femmes qui passent est éloquente. Il me dit :
– « Je deviens fou »
Il regarde une fille comme on regarde une source quand on a soif, comme on s’approche d’un pain quand on a faim. Il semble juste un homme qui désire une femme. Mais ce n’est pas que cela. Il a besoin d’un amour inconditionnel, de serrer La Femme dans ses bras, de se sentir aimé, accepté, caressé par elle. Je pense que pour lui ce n’est pas la sexualité pure qui lui manque mais la générosité, les mots d’amour, le contact charnel, la peau d’une femme, une fille de son âge ou plus jeune, une jeune fille parfaite et belle à laquelle il dit avoir droit. Pour lui, l’amour avec une jeune fille serait comme si un ange le couvrait de son aile. Il a compris ce que peu de personnes comprennent, que le don de soi est un dépassement et que l’amour est une élévation vers un paradis, en un lieu où, comme le dirait Baudelaire, un de ses maîtres, « tout est luxe, calme et volupté. »
- « Qui êtes-vous, Vincent ? »
Il est ce petit garçon angoissé, terrorisé et battu par d’autres enfants… Ce petit garçon qui n’a pu parler qu’à 4 ans et, au début, par onomatopées, obsédé par le téléphone et incapable de lire. Il est cet adolescent enfermé en hôpital, qui dit :
- « Chaque espoir se fait détruire par la vie »
Il est ce jeune homme sans droit ni liberté qui s’évade à travers des personnages fictifs. Il est cet homme tourmenté, déversant ses chagrins dans des romans fantastiques, lui qui avait été interdit d’écriture par le milieu médical. Et cet auteur de romans fantastiques capable de parler et d’écrire en anglais, d’inventer des mots ou d’en utiliser certains que personne plus ne connaît ?
- « Qui êtes-vous Vincent ? »
- « Je ne suis pas un être humain ! »
Les mots sont forts : il a été « crucifié » Il a prié Dieu pour que ses tourments s’apaisent mais Dieu existe-t-il pour lui ? Il dit :
- « Je suis une expérience de Dieu »
Comment ne pas tenter d’arrêter cette expérience en se suicidant ? Ou en devenant…les autres. En ayant une connexion avec des stars, des personnalités emblématiques…Comment ne pas être attiré par les anges seuls capables de le protéger des autres humains ? Comment ne pas avoir peur de l’enfer quand on le vit sur terre ? Quand on se sent déjà condamné et interdit de paradis ? Comment ne pas culpabiliser quand un songe lui demande s’il n’a aucun remord et lui affirme qu’il n’est pas le bienvenu ? Comment ne pas se tourner vers les démons qui seraient plus forts que nous ? Comment ne pas avoir tellement besoin de retrouver une grand-mère vénérée déjà partie vers le ciel ?
Lorsque Vincent prie le ciel, il est certain que Dieu ne l’écoute pas. Qu’est-ce que la prière, une action de grâce envers ce que le ciel nous envoie ou bien une demande jamais satisfaite d’un bonheur qui n’existe pas ? Vincent se sent oublié : sa création est une erreur divine, il est lui-même un blasphème puisqu’il accuse Dieu, cet être imaginaire et pourtant si présent en lui, de l’avoir « mal fabriqué ».
Il vit dans un monde de corruption où l’argent est roi, où les femmes le dédaignent, où les « Autres » sont livrés aux démons.
Il dit
- « Je ne suis pas un être humain, je suis l’erreur de Dieu » mais aussi « le déchet de mon père, une vie crachée sans amour ni considération. » Mais peut-on juger Dieu et ses desseins ?
Vincent parle beaucoup de pureté, il voudrait connaître des personnes pures, il demande beaucoup aux gens qui ne sont pas parfaits. Il dit :
- « A mon niveau j’entrevois ce que les démons font à la pureté »
Ces démons qui transforment de jolies jeunes filles en femmes vénales aux plaisirs tarifés, ces démons qui, pour lui, vivent dans l’éternité d’un royaume de feu où il a sa place puisqu’il souffre de ses flammes intérieures jamais éteintes et jamais apaisées.
Son existence est une prison : il fait les courses, il dort, il mange (trop), prend ses médicaments qui le laissent KO une partie de la journée puis il part faire sa promenade dans les rues et les bars, toujours la même, toujours aux mêmes endroits, comme le prisonnier fait le tour de la cour de la prison. Les gens le regardent avec méfiance, les filles l’évitent, lui qui voudrait tant être accepté, câliné, compris.
- « Eux sont considérés » dit-il
Lui est rejeté.
- « Les autres ont des droits, ils en jouent, en abusent, moi je n’ai ni vie ni souffle »
- « Dieu aime les gens sauf moi. Il y a peu de spirituel sur la terre. En fait Jésus est mort pour des idiots ! »
Je cite Vincent :
– « L’église propose juste une doctrine, rien de plus. L’homme est machiavélique, plus même que le Diable, d’ailleurs, la clientèle de l’enfer est plus importante que celle du ciel. La nature humaine est d’aller vers le vice. Les gens rêvent de dominer les autres, d’être populaires. C’est la cruauté, le profit, on met à mal la planète… La vie ici c’est la guerre… »
- « Alors les émotions que je peux ressentir ne sont que colère, sang et violence. Dans cet univers hostile comment se montrer altruiste ? Je suis dans l’excès, la peur, les hurlements, je reçois des crachats, je respire du souffre et je ne peux plus penser qu’œil pour œil, dent pour dent ».
La grande frustration de Vincent c’est sa relation aux femmes. Ces femmes qu’il ne peut pas atteindre, qui ne veulent pas de lui… Il dit qu’il voudrait tellement non des choses purement sexuelles qui ne le satisfont pas mais de la tendresse, de la sensualité, toucher le corps d’une jeune fille, l’embrasser, la caresser, lui dire des mots doux et pouvoir un temps accéder à ce paradis interdit.
Il dit :
– « Je voudrais faire aux femmes ce que je fais aux animaux ».
Il aime le contact des animaux, ces « peluches », l’amour gratuit qu’ils donnent, la connaissance qu’ils ont de la Vérité de celui qui les caresse. Et pourquoi pas des tigres, des loups…ces bêtes majestueuses.
- « Qui seriez-vous dans l’idéal, Vincent ? »
- « Je serais un personnage d’écriture qui a son univers mystique, gothique. Je serais respecté et ne laisserais personne indiffèrent. J’aurais une influence, je serais séduisant et mes écrits voyageraient… »
- « Comme certains de vos modèles ? »
- « Baudelaire, Shakespeare, ces auteurs mystiques et sensuels. J’aime beaucoup l’esprit sarcastique d’Ozzy Osbourne. J’appréciais jadis aussi quelqu’un dont j’ai déjà parlé parce que hors du commun : Marilyn Manson. Mais aussi cet homme au raisonnement philosophique percutant qu’était Jean d’Ormesson ».
Vincent est en questionnement sur son devenir actuel. : Il est dépendant des médicaments. Faut-il changer son traitement pour un autre qui lui donnerait plus de liberté ? Il a envie de se laisser aller, de ne plus lutter, de se sentir à l’abri de tout ce qui lui fait du mal : retourner en hôpital psychiatrique ? Mais s’il perdait son talent, s’il ne pouvait plus écrire ?
Torturé par ses interrogations, crucifié par son besoin d’amour, tenaillé par un besoin de changement et de liberté, à travers sa souffrance et sa différence, Vincent nous livre son questionnement sur la vie, le spirituel, la conscience et sa vision angoissante de l’humanité.
Quand Vincent était enfant il avait des difficultés de langage. Hypersensible, il enfermait sa fragilité à l’intérieur de lui-même, cette sensibilité que les gens ordinaires « violaient » dit-il. En l’écoutant maintenant, je me dis qu’il s’est bien rattrapé. Peu à peu je devine le profil d’un garçon « surdoué » comme on dit, enfant précoce qu’on a empêché de respirer. J’ai un peu l’impression (ça c’est mon côté mystique) que j’ai affaire à une « vieille âme » égarée dans ce siècle. Vincent a un vocabulaire d’une grande richesse, un langage recherché dans lequel les mots les plus « verts » côtoient les expressions les plus raffinées. Il parle de concepts, de ressentis comme on en parlait au 19eme siècle. Il n’a pas poursuivi d’études et pourtant sa culture est impressionnante. Il commence presque toujours ses messages par « Chère amie ». On dirait un homme d’avant. Vincent sera toujours un personnage particulier, peut être un personnage de roman. Il aura toujours en lui cet irrépressible besoin d’affection mais il a su mettre la distance avec la schizophrénie, s’en servir comme d’un tremplin pour exister autrement en tant qu’homme et en tant qu’écrivain. Il lui suffirait de trouver l’amour…
Portrait recueilli & rédigé par Mme Régine Fournon-Gohier
Poème ‘Écoutez’ par Régine Fournon-Gohier (666 Nuances de Braises)
Ecoutez-moi
Je suis un ange
Mes ailes repliées bientôt se déploieront
Pour consteller le ciel de poèmes et de fleurs
Ecoutez-moi
Je suis un diable
Au fond de mon enfer, aux marches de son trône
Je suis la créature bénie par Lucifer
Ecoutez-moi
Je suis un homme
J’ai besoin de tendresse, de jolis mots d’amour
Que la peau d’une fille se frotte sur la mienne
Ecoutez-moi
Je suis un écrivain
Un auteur de romans violents et mystérieux
Envahis par le vent, les flammes et les cris,
Quelquefois la douceur…
Ecoutez-moi
Je mets à nu mon âme
Entre haine et amour je vis ma différence
Ne cassez pas le vase où la rose fleurit
Ecoutez-moi un peu…
Ecoutez-moi encore…
#RégineFournonGohier